Dans sa démarche consacrée à l’Art Brut, le journal La Croix présente :
À Rothéneuf, près de Saint-Malo, l’abbé Adolphe Fouré (1839-1910) a transformé la falaise de granit en œuvre d’art.
La falaise tombe, en pente forte, vers la mer. Tandis que les pieds s’aventurent avec précaution sur le granit, le regard s’habitue aux teintes de gris… Peu à peu, des formes apparaissent, de plus en plus nettes, dans la pierre. Têtes sculptées, sortes d’ogres ou de sphinx humains, méditatifs face à l’océan. Bêtes mystérieuses à écailles, groupes de corps emmêlés, en bataille, ou figures paisibles, comme ce gisant ou cette tête farceuse…
Dos à la mer, l’abbé Fouré (né Fouéré en 1839) a taillé cette œuvre énigmatique au burin et au marteau, à même la falaise. Un travail de force et d’endurance, d’où plus de 300 figures sont nées, livrées au vent et aux tempêtes. Arrivé à Rothéneuf en 1894, ce prêtre n’était précédé d’aucune réputation artistique.
Ordonné en 1863 pour le diocèse de Rennes, il avait été nommé à Paimpont, puis à Guipy, Forges-la-Forêt, Maxent et Langouët, sa dernière charge paroissiale, dont il fut relevé, officiellement pour « dureté d’oreille » . Retraite précoce pour cet homme de 55 ans…
Nul ne sait ce qui a poussé l’abbé Fouré à sculpter. Dans une interview donnée à la presse locale, en 1906, il dit avoir voulu « se distraire et s’amuser » et s’inspirer « de sujets religieux ou profanes ». Plusieurs scènes évoquent ainsi l’histoire coloniale du moment, guerre des Boers et guerre de Chine. D’autres célèbrent les saints bretons Budoc et Gobrien. Conflit avec une riche famille de Langouët.
« Après avoir longuement regardé le granit, je finissais par voir, en pensée, se dessiner un sujet dans une pierre. Ma conception étant arrêtée, je me mettais alors à l’ouvrage », a raconté l’abbé, qui semble avoir libéré de la pierre tout un peuple imaginaire.
Une histoire plus douloureuse pourrait l’avoir mis au travail. Grâce aux recherches de l’Association des amis de l’abbé Fouré (1), on sait depuis peu qu’un conflit l’a opposé à une riche famille de Langouët, qui ne voulait plus financer l’école religieuse du village. Le prêtre aurait puisé sur ses deniers personnels pour pallier cette défection, mais il est possible que l’affaire lui ait coûté sa charge, malgré une pétition des paroissiens demandant à l’évêque de le maintenir à son poste.
« Ce conflit a sans doute déclenché sa détermination à sculpter et il en fallait pour s’attaquer au granit breton ! », avance Joëlle Jouneau, présidente de l’association. Au diocèse de Rennes, ce travail de recherche est regardé avec intérêt et bienveillance. « Avant eux, personne ne s’était réellement penché sur cette œuvre », reconnaît l’évêque auxiliaire, Mgr Nicolas Souchu.
Rebaptisé « l’Ermite de Rothéneuf » par ses contemporains, l’abbé Fouré ne se doutait pas que l’art lui rendrait une forme d’apostolat. Car les visiteurs vont venir nombreux admirer ses rochers sculptés, recouverts de couleurs vives qui ont aujourd’hui disparues.
Avec l’arrivée du tramway en 1896, la haute société vient en excursion à Rothéneuf. Plus de 400 cartes postales d’époque nous montrent ces messieurs en canotier et leurs dames en robe longue se promenant au milieu des rochers.
« L’homme est un apprenti »
L’abbé fait lui-même la visite et peut-être délivre-t-il un message à ses hôtes de passage, comme en témoigne cette carte postale, postée le 22 juillet 1903, où un visiteur a noté d’une belle écriture : « L’homme est un apprenti, la douleur est son maître et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert. » Un peu à l’écart, un bel autel sculpté rappelle aussi aux badauds à qui est dédiée l’œuvre du prêtre en soutane…
La mémoire de l’abbé Fouré, qui fut une figure locale, s’est pourtant perdue. Deux guerres et un siècle sont passés par là. Son domicile-atelier de Rothéneuf, le manoir de Haute-Folie, a quasiment disparu et avec lui tout un monde hétéroclite de sculptures sur bois, totems, figurines, meubles ornés…
Propriété privée faisant l’objet d’une exploitation commerciale par un particulier, les rochers sculptés sont aujourd’hui en danger, faute d’une protection appropriée. Alertée par l’Association des amis de l’abbé Fouré, la direction régionale des affaires culturelles a considéré en 2009 leur état « alarmant ».
S’il est illusoire de lutter contre la mer, la pluie et le vent, un balisage ou un accès imposé depuis le rivage permettrait de réduire la dégradation provoquée par la déambulation des visiteurs, qui sont plus de 40 000 chaque année.
Un classement du site, qui figure parmi les plus anciens témoignages de l’art brut en France, paraît également urgent. Sans cela, le peuple de pierre de l’abbé Fouré s’évanouira, dans le silence de la mer.
(1) L’association des Amis de l’Œuvre de l’Abbé Fouré recherche les sculptures en bois de l’abbé et tous documents sur sa vie.
Contact : Joëlle Jouneau, tél. : 06.12.35.14.89, joelle.jouneau@orange.fr
Élodie Maurot
Voici une présentation qui méritera de s’y poser, d’attirer l’attention sur le site de granit et l’homme : l’Abbé Fouré qui l’a créé.