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Textes contemporains

Alain Muriot

Photographe polyvalent, ma carrière en a connu des vertes et des pas mûres, comprenez le basculement de la photographie argentique à la numérique. Niepce lui-même en aurait été très affecté… Pousser vers l’utopie devenait ainsi pain bénit, puisque dans mon département, le Familistère de Guise en était l’expression la plus incontournable.

A un jet de pierres, mon chemin me conduisit à Prémontré, où l’abbaye et son hôpital psychiatrique me reçurent chaleureusement.  Leurs patients, épris de libre arbitre, à défaut de liberté, se retrouvaient dans un atelier idoine. Impatients, ils se complaisaient à donner vie à la glaise ou à jeter sur toutes sortes de papiers les couleurs de l’irréel…

Qui donc nous sépare de ces faiseurs de rêves, autodidactes patentés ? Certains baptisent leurs créations  « Art brut », j’y adhérais sans contrainte et créais ainsi l’association Abracada’art.

Des créateurs professionnels exerçants dans de nombreuses disciplines me rejoignirent.

Bonne lecture.

Rothéneuf La Grande.

Ce récit est-t-il à la ressemblance d’un bateau en dérive, les tempêtes
trouble-fêtes vous ont-elles invité ? Carguées, les voiles ont prit la
tangente, il est temps de grimper dans la chaloupe, les enfants, les
femmes… d’abord !
Si votre entendement méconnait tout de l’histoire des rochers sculptés
de Rothéneuf, dédaignez… Tout ici est énigmes, devinailles, pénétrer
dans ces arcanes sans y être en connivence, vous vaudrait un soufflet
de la part de leurs impétrants corsaires, ces mêmes personnages
énigmatiques livrés à votre découverte !
Gésir face à la mer, est-ce bienséant ? Et si votre séant est accaparé
par votre corps inerte, vous n’y pourrez rien ! Nulle pourriture en vue
pour votre anatomie, vous êtes métamorphosé en granit, sculpté sur les
rochers, bon à embrasser la mer « ad vitam aeternam ».
Chaque homme à la stature qu’il mérite ou le gabarit qui s’en serait
échappé. Rodin avait la carrure, le facteur Cheval à dos de vélo
paraissait vulnérable. Parfaitement contemporains pour ces donneurs
de formes, le premier pactisa avec la gloire, celle du second se fit
attendre !
Comme chez les accomplis, choisissez entre l’ange et l’archange,
aimez d’avantage le premier, avec pudeur et réserve…
La trajectoire du soleil pousse sa route à la manière de l’art militaire
mais tout autant avec sa soldatesque la plus ordinaire.
Pas de demi-solde dans sa course : Levant ! Couchant ! Une, deux !…
Depuis les piedmonts des Alpes jusqu’aux forêts salées bretonnes,
c’est là qu’est notre mystère…
Pour le fameux Facteur c’est le nez grec, presque chevalin.
Descendant d’hoplite, comme un guerrier pesamment armé, son vélo à
l’antique, son char à pierres et galets, son casque dévoyé en casquette
de messager, comme il marche, marche…

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Celui là, ne marche pas, la bouche impériale de la sainte Rome,
« Ubi imperator ibi Roma » Non, il n’est pas à Rome, il est à
Rothéneuf ! Comme ce qui sied aux prêtres et créateurs des premières
mosaïques chrétiennes. Puisque l’abbé est dit « Le Facteur Cheval
breton » restons en sa compagnie, entre les pointes de la Haie et du
Christ, près de Saint Malo.
Ils surgissent de la concrétion rocheuse :
Rien ici n’est ingénu, sans limite, attroupement de bêtes et monstres,
âpres faciès, figures bourrées d’hilarités, chimères grimaçantes,
gisants à perpétuité, matamores et histrions, seconds couteaux, géants
bienheureux, corsaires, ducs et saints Bretons.
Tel Galaad, l’honorable chevalier de la Table Ronde, notre façonneur
des flots et marées tenait son marteau comme le Saint Graal, l’abbé
avait troqué le goupillon contre le burin. Après avoir exercé son
ministère dans maintes paroisses de cette contrée armoricaine, le
prêtre de belle carrure s’est retiré sur ce bout de falaise. Sa Thébaïde,
la franchir, c’était le devoir d’ôter son bonnet devant la bannière
frappée d’un dragon tenant dans ses griffes une croix latine, l’honneur
est sauf !
Dorénavant seul à seul avec la mer, le créateur breton lui-même
autoproclamé « Ermite de Haute-Folie » plonge dans sa légende.
Etait-il sourd, était-il muet ? Impénétrable ! Les légendes ont la vie
dure, nonobstant, serait-il temps de démêler le vrai du faux !
Comme deux corps interpénétrés, inextricablement entravés choisissez
le juste contre le captieux. Tirez les fils, puisqu’ils sont embobelinés !
Silence…
Mais le meilleur ami de l’abbé n’est-il pas le rocher ?
Mystère et boule de granite ! Cette roche magmatique s’est formée par
une débâcle ! La fusion de la croûte des continents.
Foi de minéral, intérêt et principal ! Comme l’affirme la fourmi cette
voyageuse.

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Tout comme le granite et sa lente cristallisation, cocktail divin de
l’eau charpentée en sodium et quartz, associée à de curieuses
conceptions potassiques.
Ne remonte telle, à la manière des éructations de l’homme.
Y aurait-il de l’Hadès dans cette affaire ? Ce mal aimé des enfers,
puisque les granites constituent la majeure partie des roches
plutoniques visibles à l’affleurement.
Celle là apparait tout autrement ! Au milieu des algues et lichens, dès
le crépuscule, épiez, « la danse de Saint Guy » coryphée de planctons
errants, exhalaisons saumâtre, ce salé pouvant conduire à l’impudique,
convulsion choréique. Alors, grimpez à cette falaise ! Comme sarcle le
paysan, serpentez sur les roches ivres de flots,. Vous êtes posté aux
renfoncements des âmes, saisissez-vous l’entre-déchirement de leurs
chairs ? Entendez-vous se briser les reliques de leurs os ? Oh, comme
ils le savaient les Rothéneuf, dès la fleur de l’âge, leurs précieuses
reliques ne serons jamais vieilles. Mais, s’ils avaient eu connaissance
des rochers sculptés à venir, comme le théâtre antique dont le dessein
était d’apaiser la colère des dieux… Catharsis mes princes !
Esprits frappeurs êtes-vous là ? Divinations, fantasmagories,
spiritismes… Transes de médiums… non, pure réalité.
Mais si à brûle pourpoint vous voilà devenu iconophage, ici à
Rothéneuf ! Dévorer des yeux, cela s’est déjà produit, mais les
entrailles ! Saint Bernard de Clervaux, le très pieux cistercien à
genoux aux pieds de la Vierge, reçu les divines gouttes de lait,
jaillissantes de sa chaste poitrine.
Catherine de Sienne, itou, lors de ses apparitions, absorbait le sang du
Christ aux seuls fins de s’accaparer toutes ses souffrances.
Mais vous, femmes et hommes incrédules, il ne vous resterait rien
d’autre qu’à licher les coriaces rochers recouverts d’embruns salés.
Chaque corpuscule de granite utile à vous servir de remède pour
toutes vos misères. En leurs temps Égyptiens et Grecs, avec d’autres
particules, l’ont bien accompli !

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1870 mauvaise année pour la France mais avantageuse pour la carte
postale, avec ses heures de gloire entre 1900 et 1920… quatre cents
pour Rothéneuf ! Choisissons en trois, de ce temps.
L’une d’elles, montre un mondain au col cassé, celui là, ce n’est pas
du granite qu’il introduit dans sa petite cuillère d’argent ! Désinvolte,
tête couverte d’un canotier, à ses pieds, gît figée dans le roc, Jeanne
duchesse de Bretagne, lui ne semble là qu’à des fins pittoresques.
Puisque c’est la Belle époque, on imagine une belle à ombrelle
l’attendant plus bas sur la plage. Madame a ses suivantes ? Seconde
représentation…
Cessez de gambiller au dessus des monstres, vos corsets et longues
robes n’y pourront rien, jusqu’à vos plus intimes secrets, les yeux de
granite vous perceront. Comme tu nous plais Belle époque, à
Rothéneuf, vertueux pèlerinage touristique, en rangs serrés, par
milliers s’arrachent les cartes postales. Notoriété de l’artiste ermite,
gloire locale, prêtre talentueux… Comme il pose, entouré des
visiteurs en de multiples endroits, sourire absent.
Troisième carte-vue, en majesté, l’ecclésiastique enchapeauté,
l’ajustement bien plus grand que ceux des bretons de comédie, parce
que les bords ici à Rothéneuf tiennent le large. Il est au pied d’une
croix de bois ornée d’un Christ. Porte t’il dans ses mains le tronc
permettant aux visiteurs d’y déposer l’obole destinée aux pauvres ?
Paroissien à mystères, autour de lui courent toutes les controverses !
Démêlés avec les dominants, imperium contre laïcité et compassion
pour les humbles.
Dès le dix septième siècle nait la fonction d’ordonnateur des âmes.
Les prêtres sont invités à pénétrer dans le jeu de « La pomme de
discorde » entre paroissiens. Eve maîtresse des conflits !
La mère de tous les hommes gagnée de vitesse par le curé médiateur,
l’ecclésiastique choisi pour être, entre les hommes et Dieu. La réforme
du concile de Trente était passée par là !
Et si, l’abbé Fouré avait été un rebelle ?

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Novateur-barricadeur, par son incursion en Angleterre aux fins de
plaider la cause des ouvriers en grève des forges de Paimpont, et ce,
auprès des land-lords possédants. En particulier Henri d’Orléans, duc
d’Aumale propriétaire en exil. Un prêtre égalitaire, la belle affaire !
Enclin à braver le pouvoir, le plus digne de nos moralistes ne l’aurait
pas désavoué. Bien qu’il ait souvent évoqué la Bretagne, ses pas ne
l’ont jamais entrainé à Rothéneuf. Monsieur le frondeur, vous êtes né
bien trop tôt !
L’auriez-vous dit « On ne devrait s’étonner que de pouvoir encore
s’étonner… ». Dixit, François de La Rochefoucauld.
Les mythes avant la légende ! L’abbé renverse les sabliers de
l’histoire, histoires convulsives : la particulière, l’œcuménique, la
cosmopolite !
Celle de l’abbé n’est pas « historiette » de théâtre populaire de plein
air, dirait-on ? Mais bien plus !
Orages de soufre, pluies d’encens, Qu’en est-il de son devisement ?
L’ermite élucidait le granite comme les antiques déchiffraient dans la
tripaille des animaux sacrifiés, pareillement à l’homme préhistorique
épanoui, sur les versants rocheux des grottes, il interprétait le lieu
idéal afin d’y représenter la faune convoitée, tout comme le sculpteur
breton et son épopée de pierre !
La superficie, l’ampleur et l’espace en toute liberté, la joute contre la
matière la plus coriace, la plus impénétrable. Si le séminaire lui avait
fortifié l’esprit, nulle institution, n’avait décelé en lui cette surprenante
aisance contenue dans ses mains…
L’abbé est bel et bien vertueux puisque le bien réside dans la
perfection de son œuvre, frappée dans les roches mystérieuses du lieu.
Comme elles surgissent de loin toutes ces figures, et au beau milieu du
chef de notre ex-ministre du culte !
Des paroissiens chagrins l’ont formulé, « Il y a loin de la coupe aux
lèvres ! ». Aucun obstacle pour lui, rien n’arrêtera sa main, qu’elle
élabore saints et monstres !

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Spectatrices interloquées les vagues se prosternent, gagneront-elles les
tribus circassiennes ?
Mer sans fin, rouée aguicheuse de rochers, tacleuse de voile en
goguette, comme le vent calotte la soutane empoussiérée de ce
manouvrier d’abbé particulier !
Face aux brisants se dressent les sentinelles minérales. La foudre cette
amoureuse singulière des arbres, s’éprendrait-elle de certains
personnages dressés vers le ciel, ceux des Rochers sculptés, dirait-on
ithyphalliques ?
Coups de lames contre coups de ciseaux, le marteau et le burin : pique
la pierre l’abbé ! Hardi ! Aiguillonne, darde, mord, agace, époinçonne,
poigne. Poésie sauvage entre gouffre de l’Enfer, Saut de la Mort et du
Paradis, extravagances mais sous contrôle ! Ils resurgissent, se
redressent et revivent ailleurs puis s’estompent, se noient, partent en
pamoison.
Forger le végétal, sculpter la brume, calligraphier avec le feu, ciseler
l’imaginaire. Il sera Crésus, il sera Dragon, il sera contrebandier,
mieux encore…
Anne de Bretagne, la plus illustre des toutes les reines de France,
qu’importe les bijoux de son temps, ne gît-elle dorénavant avec ses
ornements de pierres, dans ce riche granite où sommeillent : cristaux
éclatants, quartz chatoyants, clivage du cristal en lutte contre le grenat.
Autre duchesse, autre duc, continûment de Bretagne, Jean IV le
conquérant, aujourd’hui foulé par mille pieds, lui qui fit des pieds et
des mains afin de reconquérir son Armoria « Le pays qui fait face à la
mer ».
Après les illustres, les peu recommandables : largement représentée
l’étrange famille des Rothéneuf ! Dynastie de corsaires-contrebandiers
établis ici sans vergogne.
Une tribu possède-t-elle un nom de baptême ? Énigmatique à l’état
civil… Clandestin au registre du culte…

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À défaut de plonger dans le bénitier, piquons dans cette mer
paradidiaque, ajustons le blason de la compagnie des vieux loups de
mer, avec absence d’un sceau du roi ! Ils inventent le « Un pour tous,
tous pour un… » Mais reprennent « Roi ne suis, ne prince, ne duc ne
comte aussi… » Que nenni messire de Coucy, mais bien sires de
Rothéneuf, point francs corsaires au modèles de Surcouf ou Duguay-
Trouin, les malouins d’à côté. Nous bourlinguons à dos de caraques,
galéasses, flibustiers en mers brûlantes, nous somme les Rothéneuf,
avec pour base de ralliement, dès le 16 ème siècle, les dunes et pointes
du lieu, pourchassant sans vergogne tout citoyen exotique du coin.
Ne vivre que, et par la mer n’est-elle aussi sa devise, pour l’abbé
inspiré, un quart de siècle d’un labeur opiniâtre, est-ce là bignolerie de
leur bigorner le portrait ?
Mais figurer leurs plus grandes particularités en est une autre.
À ces sans foi ni loi, une vue perçante et une finesse de l’ouïe
incomparables.
Renoncez cher ermite artiste, à représenter ces deux particularités,
elles ne sont pas don du ciel mais une grâce propre à l’absorption
quotidienne des eaux riches en sédiments ferreux entourant ces lieux.
Comme ils en firent cures, ces Rothéneuf, multitudes cruelles aux
noms bigarrés, tel :
Gargantua, gargantuesque commandant la flotte invincible sur les
flots. Glouton vorace, mangeaille continûment.
Lucifer, échappé des galères corsaires, regard de fauve, brifaud avale
tout en gloutonnerie. Avec cette cerise sur le kouign-amann (inventé
bien plus tard) de la traitrise, Lucifer le porte lumière des Normands…
Crésus, loup de mer débauché depuis son repaire flottant, repère
comme un vautour les proies à venir, et bien d’autres citoyens encore.
Indéboulonnable couvée de coquins infréquentables, nonobstant
soudée contre les corsaires malouins.
Les cinq clowns, prestesse, finesse toujours exemplaires… à
l’abordage !

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Le Fakir, Nécromancien, de bons ou mauvais augures ? L’ambiguïté
conduit parfois à subjuguer le maître, méfie toi Rothéneuf !
Cambronne, Cléopâtre, Le Grand et le Petit chevreuil, le Haut plat,
les reines Victoria et celle du Dahomey, Merlin et Viviane, les soldats
de la guerre de Boers. Et toi Napoléon 1 er que fais-tu dans cette
galère ? Tous assemblons-les dans le cercle Rhothénien !
La tempête de suroît ne va pas tarder, tu dévoiles le sens du vent aux
marins ? Ta place est ici saint Budoc !
Ce lieu où le clan fléchissait devant toi, tous à l’unisson « Tous à
genoux ! ». Magnanime, on imagine ce qui n’est pas consigné dans la
pierre. Trône le saint bienheureux, sa balance à la main, les âmes
défilent sans angoisse, les acrimonieux comme les bienveillants,
soulagés, fixent les plateaux tenus à égale altitude.
Aussi, la présence d’un ange n’est en rien fortuite. Ses empreintes
sont-elles, tête de pioche et jambe de bois ? Là, ciselures minérales
effacées, à peine devine-t-on ses ailes. Le temps fait son œuvre, à la
manière de la polychromie des édifices religieux, ne prit-elle la poudre
d’escampette par découragement ?
Déréliction, anéantissement, la troupe révolutionnaire ne va pas tarder
à pointer le bout de son nez. Le roi est mort, vive le roi ! Que néant…
Haines et rancœurs, sur fond d’hermine, le drapeau des Chouans
frappé du sacré cœur de Jésus contre la cocarde tricolore de la
Babylone Fluctuat nec mergitur, Sans culottes contre culottes
bouffantes, ils furent battus par les flots, mais ne sombrèrent…
M’en va t’a la mer, à la tasse les vieux loups de mer ! Soldatesque
pétroleuse, puisqu’ils sont les pires, louons nos Rothéneuf.
Ici gît le dernier, aux pieds du monstre marin, comme ses pattes
griffues semblent toutefois bienveillantes !
Effacement, disparition… Maudissons ici les pieds des hommes.
Qu’ils rampent comme le serpent, ce grand imprécateur justiciable de
la chute de nos vieux devanciers.

9
Si leurs pieds arrachent dorénavant le moindre grain de pierre qu’ils
descendent à la baille, abordent les sirènes comme nos pieux aïeux
étaient acheminés aux lions.
Elle, ne l’était guère, reine du carnaval des brigands « Nez de
Gouttière » la plus dévergondée des illégitimes, avait les naseaux en
forme de fraise, de surcroît bedonnants et dont la chair suintait sans
destourbier, sans dérangement. Mais si son nez avait été semblable à
celui de Cléopâtre ?
Et, le « Nez de Gouttière » eût été plus court, la face du monde
n’aurait sans doute pas été changée, mais l’aventure de l’art naïf !
Deus ex machina, la Machine diabolique du 19 ème siècle, écrasant
tout sur son passage : l’éteignoir appliqué sur les Lumières d’un autre
siècle. La vapeur, ogresse prompte à domestiquer bielles et pistons
ces coureurs de lieux. La remise aux oubliettes pour les chevalets à
roulettes des peintres hiératiques. « La camera obscura » qui renaît
avec ses plaques sensibles. Le séduisant tramway file de Paramé à
Rothéneuf. L’objet unique sorti des mains du modeleur, réduit à la
série, sans cœur et sans âme. La Fée électricité, cette Belle aux bois
dormants à la baguette magique dérobée, inaccessible et convoitée dès
sa venue au monde, ce n’est pas l’aiguille qui est ici empoisonnée,
mais bel et bien l’atome à venir, ce glouton père fouettard. Depuis
belle lurette, l’homme oiseau est sortit du labyrinthe, ailes de plumes
endurcies avec empennage pour ajoutage et réacteur en lieu de cœur,
Dédale, Ader ou les frères Wright qui est le roi de l’aviation ?
Et toi, souverain de Rothéneuf, n’est-tu pas au-dessus des autres ?
Soit le chef suprême, ayant acquit opulence et omnipotence, il est
temps de te mettre en concorde et harmonie, voir en connivence avec
le ciel puisque rien n’est clair chez vous autres !
La route est longue vers le paradis, soit ces moines et chapelains
embrigadés crûment, tailleurs de pierre et artisans seront tes sbires
afin d’élever hardiment un autel voué à saint Budoc, trente six pieds
de haut, soixante pieds de large, tout cela est-il gratis pro deo, ou en
hommage à son propre moi !

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Après maintes tergiversations avec ses édiles, le Facteur Cheval
s’accommode, ad vitam aeternam, du modeste champ des morts de
son village. Les deux paladins de l’art brut, pourquoi ne se seraient-ils
pas rencontrés ? Actes bruts, tout à l’état brut ! Au diable les normes
culturelles pouvant mener aux pires déviances. Comme ces fougueux
à la recherche de stimulus décoratifs ou ces gueux fous qu’il est
toujours bon de calmer en les invitant à déambuler dans quelques
musées bien clos.
Bâtisseurs de rêves, singuliers de l’art plutôt qu’ « Art brut ».
Mais notre abbé ? Pas assez fou pour les surréalistes ; André, seul
breton par le nom, tourné vers l’unique Palais Idéal, sacrant le Facteur
d’architecte médianimique ! Et toi l’autre André, pourquoi ne l’as-tu
pas fais entrer dans tes fabuleux cortèges, cet Abbé Fouré ?
Et vous, Malraux, Breton, dont les œillères n’ont rien su du breton,
jetez vos préjugés aux algues vengeresses.
Et lui, gageons qu’il en eût connaissance, l’auteur du Marteau sans
maître : « Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rébellion,
de Bienfaisance… » René Char, une pensée pour notre Maître du
marteau ? Et lui, notre abbé n’était-il pas tout autant poète :
« Le dernier des Rothéneuf,
En pêchant à Bennetin !
Rencontra d’un poids d’un bœuf,
Un hideux monstre marin…
Lequel à son grand effroi,
L’engloutit sans plus ma foi… »
Raconter, raconter… est-ce là seule aubaine de l’art ? Mais celui de
« L’art brut » ne recèle aucun artifice, comme chez l’abbé, juste le
devoir d’avertir.

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L’Abbé, le Facteur, les mains calleuses de leurs travaux dantesques se
seraient-elles empoignées, les unes endurcies par le mortier de chaux,
les autres culottées par l’attaque des plus coriaces minéraux. Mais leur
imaginaire, comment l’ont-ils nourri ? Ils étaient d’un temps où tout
était possible !
PS : deux héros parfaitement contemporains, le Facteur nait en 1836,
l’abbé trois ans plus tard, ils seront édificateurs de l’art brut,
parfaitement ignorés en leur temps !

Alain Muriot président d’Abracada’Art (association de créateurs singuliers)
alainmuriot127@gmail.com 06 81 80 90 80